Dans une lettre adressée à Salah Abdeslam, seul terroriste rescapé des attentats de novembre 2015 qui avaient fait 130 morts, Dieudonné M’Bala M’Bala dit « vouloir comprendre » les motivations de celui qui est actuellement incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis. Une démarche qui suscite l’indignation des parties civiles, et qui relance le débat sur le droit à la parole des meurtiers.

« Nous ne voulons pas parler des actes qui vous sont reprochés. Ce qui nous intéresse est de comprendre votre état d’esprit et les raisons qui vous ont poussé à agir ».
Dans le cadre de l’écriture d’un livre intitulé « Comment arrêter les attentats en France? », le polémiste Dieudonné a souhaité donner la parole à l’unique survivant du commando terroriste du 13 novembre 2015. Pour qu’il s’explique, d’abord, sur les raisons qui l’ont motivé à passer à l’acte, comme si causer la mort de cent-trente personnes était quelque part justifiable. Pour tenter, ensuite, de tenir la société française responsable des évènements tragiques qui ont eu lieu il y a désormais deux ans, puisqu’il poursuit sa lettre en écrivant : « En discutant avec vous, nous espérons mieux comprendre la profonde révolte qui vous habite et à laquelle la société reste sourde ».
Les réactions ne se sont pas faites attendre, une fois la lettre révélée par Le Parisien. « C’est un prétexte pour mettre à la charge de la société la responsabilité des attentats terroristes » a déclaré Me Gerard Chemla, avocat des parties civiles, à l’AFP, qui dénonce par ailleurs ‘une fascination morbide et extrêmement inquiétante ». Se pose alors la question du droit, ou non, d’accorder la parole à des individus responsables de crimes odieux et de massacres de masse comme Salah Abdeslam en fut le responsable. Si l’initiative n’est pas nécessairement dénuée de sens, dans la mesure où beaucoup s’interrogent sur les raisons qui poussent un homme à commettre des actes pareils, la démarche laisse pourtant souvent place à l’indignation collective.
Dualisme entre indignation et interrogations
Concernant l’affaire Abdeslam, Me Géraldine Berger-Stenger, avocate de l’Association française des victimes de terroriste (AFVT), déclarait pour l’AFP « Les victimes sont choquées d’apprendre la démarche de Dieudonné, et préfèreraient qu’Abdeslam leur donne directement à elles des explications ». C’est en ce point essentiel que réside la question du droit de savoir, du droit de comprendre. De comprendre directement de la bouche du principal concerné, certainement. De comprendre du fait du récit d’un ancien humoriste improvisé journaliste, aux propos volontairement polémiques et souvent contestés, qui pourrait de par ses prises de positions sur la question biaisé les propos du sondé, beaucoup moins.

Historiquement, plusieurs meurtriers tristement célèbres avaient eu la possibilité de s’expliquer sur les actes pour lesquels ils avaient été condamnés. Ce fut par exemple le cas du tueur en série américain Charles Manson, véritable source de fascination pour les médias comme pour le grand public, qui s’était adonné au jeu des entretiens une fois derrière les barreaux. Stéphane Bourgoin, spécialiste français des tueurs en série, s’était même permis de publier « Moi, Serial Killer », un livre dans lequel figurait une interview inédite de Charles Manson. Francis Heaulme, surnommé le « routard du crime », avait également pu répondre aux questions de 20minutes, même incarcéré à la maison centrale d’Ensisheim. Finalement, si l’intérêt de comprendre les raisons psychologiques ou simplement impulsives qui peuvent conduire un individu à tuer peut paraitre tout à fait intéressant, celui de sonder un homme responsable de la mort froide d’une centaine de personnes et muré dans le silence depuis, semble par ailleurs deplacé. Surtout de l’initiative d’un homme qui, aux lendemains des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, dit se sentir « Charlie Coulibaly ».
Jérémie Richalet